Les 25 et 26 novembre à Lisbonne, découvrez la belle affiche afro du Vodafone Mexefest avec Elza Soares, Pedro Coquenão aka Batida, Spoek Mathambo, Toty Sa’Med, Mayra Andrade, Octa Push, La Dame Blanche, Celeste/Mariposa…
Mexefest se traduit littéralement par Bougefest et le festival organisé par Vodafone Portugal cherche à faire bouger les fesses des Lisboètes depuis 2011, en invitant une cinquantaine d’artistes locaux et internationaux pendant deux jours dans plusieurs endroits de la ville : des salles de concert traditionnelles, mais aussi des théâtres, des cinémas désaffectés, des églises, des squares… Cette année, la programmation offre quelques groupes afro plus qu’excitants, venant du Portugal, Cap Vert, Angola, Afrique du Sud, Brésil, Cuba…
Elza Soares (Brésil)
À 79 ans, Elza Soares est la reine incontestée de la bossa nova noire – son deuxième album sorti en 1961 s’intitule d’ailleurs Bossa Negra. Porte-voix infatigable des femmes et activiste vociférante de la négritude brésilienne, la chanteuse brésilienne interprète des bossas et des sambas depuis l’âge de 13 ans, quand elle apparaît pour la première fois sur la scène d’un tremplin musical en 1950. Quand l’animateur, amusé par l’allure de cette maigre jeune fille juchée sur des chaussures à talons trop grands pour elle, lui demande de quelle planète elle vient, Elza Soares lui répond : « je viens de la même planète que vous… de la Planète Faim ». Née et élevée dans les favelas de Rio de Janeiro, elle a souvent chanté la vie, l’amour et la mort dans ces quartiers misérables et délabrés, dans lesquels il faut du courage s’affirmer comme femme et Noire. Dans les années 1980, c’est son ami Caetano Veloso, légende de la musique brésilienne, qui l’a encouragée à remonter sur scène. Elle avait rangé le micro quelques années plus tôt, fatiguée et usée par une accumulation d’événements difficiles dans sa vie intime. Depuis, elle n’a eu de cesse d’incorporer dans sons nouveaux contemporains dans ses productions : hip-hop, funk, jazz, musique électronique… L’an dernier, à 79 ans, elle a sorti A Mulher do Fim do Mundo (« La Femme de la fin du monde »), un disque de samba unique, produit et enregistré par quelques-uns des musiciens les plus avant-gardistes du Brésil, incarnant à eux seuls la créativité de la scène musicale de São Paulo et Rio : Kiko Dinucci (du trio Metá Metá) et ses collègues dans Passo Torto – Rodrigo Campos, Marcelo Cabral, Romulo Fróes, Felipe Roseno (qui assure les percussions de Ney Matogrosso) -, Celso Yes et Guilherme Kastrup. Sur scène, elle éructe d’une voix abîmée et insoumise à propos des violences conjugales contre les femmes, du racisme, de la négritude et de la transsexualité. En mai dernier à São Paulo où elle a joué pour la première fois son album sur scène, elle criait à son public « je suis une femme ! je suis Noire ! je suis une femme ! je suis Noire ! » pour conclure « je chanterai jusqu’à la fin, je chanterai, laissez-moi chanter jusqu’à la fin ». Si Elza Soares était vraiment la « femme de la fin du monde », le monde serait déjà sauvé
Producteur, beatmaker, vidéaste… aucun de ces mots ne décrit assez précisément le travail de l’artiste portugo-angolais Pedro Coquenão aka Batida. « Passeur de cultures », ou « architecte culturel » serait plus pertinent, tant son travail créatif et artistique se donne pour but de révéler, sublimer et explorer la culture angolaise, vue depuis le point d’un jeune homme né en Angola et élevé dans la banlieue de Lisbonne. Les spectacles de Batida mélangent beats, mélodies, paroles, danse et vidéos live qui donnent à réfléchir sur la réalité contemporaine d’un Angola post-colonial, plus proche d’un néo-colonialisme que d’une indépendance – encore fantasmée. À l’occasion du festival, il a invité le producteur sud-africain Spoek Mathambo, leader de Batuk, à partager sa cabine de DJ. La culture afro-lusophone est particulièrement présente sur les deux premiers albums du groupe, avec des paroles chantées en portugais, contenue dans une house électronique aux rythmes qui empruntent à une mémoire collective pan-africaine. Le langage n’est pas le seul point commun entre les deux artistes, puisque Spoek Mathambo considère également la musique comme une affirmation et la promotion de la richesse dans cultures africaines à travers le Monde. Vendredi soir, ces deux « passeurs de culture » vont s’atteler à la création d’un pont dansant entre l’Afrique et l’Europe.
Mayra Andrade (Cap-Vert)
À la fois douce et amère, la voix de la capverdienne Mayra Andrade réconcilie des langues qui portent encore le fardeau d’une histoire commune très sombre : des couplets portugais, des refrains français, des ponts anglais des ad lib en crioulo du Cap-Vert, ce multilinguisme montre le vie cosmopolite que l’artiste a connu jusqu’à présent, à seulement 31 ans. Née à Cuba, élevée au Cap-Vert, elle a par la suite voyagé au Sénégal, en Angola, en Allemagne et en France. Ses quatre albums donnent une fraîcheur pop aux genres traditionnels du Cap-Vert popularisés par Cesária Évora – les mornas, coladeras, batuques et funanás de l’archipel au large du continent africain. Elle a récemment posé sa voix sur « Reserva Pra Dois », un titre de Branko, le beatmaker des Buraka Som Sistema.
Justement, Branko est lui aussi de la partie pour célébrer Atlas Expanded, l’album de remixes de son disque de 2015 intitulé Atlas. Le disque comprenait des collaborations avec Mayra Andrade, la rappeuse Afro-Nuyoricaine Princess Nokia, le duo sud-africain de kwaito The Ruffest, le Brésilien MC Bin Laden, aujourd’hui revisitées par des producteurs comme, entre autres, le jeune Dotorado Pro, qui est né en Angola et a grandi au Portugal. On ne sait pas qui Branko a choisi d’inviter sur scène, mais une chose est sûre : ses beats seront le cadre parfait pour accueillir une de ces voix du monde.
Octa Push (Portugal)
Les frères portugais Bruno et Leonardo Guichon concoctent des bombes pour dancefloor depuis 2008 sous le nom Octa Push, passant progressivement du garage UK à l’electronica. Récemment ils ont publié un remix officiel pour Afriquoi, supergroupe afro, et ont finalement sorti l’album Língua cette année, assurément une des productions les plus intéressantes entendues à Lisbonne ces derniers mois. Le titre, « langue » au singulier cache une multitude de langages, qui prennent tous origine dans la culture afro-portugaise qui transpire dans tout Lisbonne. La fratrie a choisi de faire de sa musique une déclaration positive dans une société portugaise post-coloniale dont le métissage musical à la mode cache encore des préjugés et une stigmatisation raciaux. Les différents invités de l’album aux origines diversifiées sont la parfaite illustration de ce que signifie être ouvert aux différences culturelles, ethniques et sociales : Maria João, Cátia Sá (ex-Guta Naki), AF Diaphra, Tó Trips (Dead Combo), Batida, Cachupa Psicadélica, Ary (Blasted Mechanism) et João Gomes (Orelha Negra). Chacun d’entre eux apporte son héritage africain pour inventer une Língua unique et commune à tous, qu’on appelle tout simplement musique.
Toty Sa’Med (Angola)
Le chanteur-guitariste Toty Sa’Med fait partie de la jeune génération des artistes de musique angolaise urbaine et populaire, et sur son premier album Ingombota a choisi de revisiter des chansons traditionnelles de son pays natal, en insufflant une ambiance bossa nova, soul et jazz à des classiques intemporels comme le « Mona Ki Ngi Xiça » de Bonga, le « Namoro » de Rui Mingas, parmi les six titres produits par son compatriote Kalaf Epalanga, tête pensante du groupe portugais de kuduro Buraka Som Sistema.
Voici une autre chanteuse née à Cuba et qui s’est finalement installée à Paris : Yaite Ramos Rodriguez aka La Dame Blanche (« La Dame Blanche ») a suivi les meilleurs cours dont un musicien pouvait rêver, auprès de son père Jesús « Aguaje » Ramos, le tromboniste et directeur musical de Rubén González et du Buena Vista Social Club. Flûtiste classique de formation, l’artiste apporte son instrument sur scène pour accompagner des chants hip-hop et des mélodies traditionnelles afro-cubaines et vaudou.
Le duo de DJs Celeste/Mariposa, basé à Lisbonne, s’est spécialisé dans les disques d’artistes des PALOP (Pays Africains de Langue Officielle Portugaise), soit les cinq anciennes colonies portugaises qui ont obtenu leur indépendance en 1974 et 1975. Funaná et coladera capverdiennes, semba et merengue angolais, marrabenta mozambicain… la sélection des deux collectionneurs et diggers de vinyles provient bien souvent de premiers tirages au pressage limités ou de CDs achetés en Afrique. Ils ont pour but de rendre hommage à la qualité de productions musicales souvent ignorées ou stigmatisée, et qui partagent tout un groove irrésistible. Les Celeste/Mariposa ont récemment fondé le label C/M Discos pour enregistrer et diffuser les chansons d’artistes d’aujourd’hui.
Pour finir, Irmãos Makossa, un autre duo de DJs résidant à Lisbonne, dont la mission affichée est de promouvoir le panafricanisme en musique : Nelson l’Angolais et Paolo l’Italien, les faux frères Makossa, collectionnent les vinyles des années 60 et 70 produits sur le continent africain, avec une prédilection pour l’afrobeat de Fela et de ses héritiers. Un voyage le long du sillon, le long du groove.